Le regard fixé sur les vagues, ses yeux bleus humides, Jan van den Berg, 70 ans, espère retrouver « ne serait-ce qu'un petit os » de son père, pęcheur néerlandais disparu en mer une semaine avant sa naissance. Dans cette bourgade d'Urk où la vie est rythmée par la pęche, nombreux sont ceux qui ont perdu un ętre cher emporté par les flots.
Pour tenter de retrouver ces pęcheurs disparus, des villageois de ce village côtier du nord des Pays-Bas ont récemment relancé les recherches avec l'aide de moyens modernes comme l'intelligence artificielle (IA) ou la comparaison d'ADN. Les corps des disparus demeurent au fond de l'eau ou se sont échoués sur les côtes allemande et danoise, enterrés dans des tombes anonymes.
Nouvelle fondation pour les disparus
« On n'a jamais retrouvé le corps de mon père », murmure sous son chapeau Jan van den Berg, retraité, dernier d'une fratrie de six enfants. Malgré le drame, il est lui-męme devenu pęcheur, comme ses frères, à la grande tristesse de leur mère, terrifiée à l'idée que la mer du Nord lui prenne aussi ses fils.
« Beaucoup de familles regardent toujours la porte d'entrée et espèrent que leur ętre cher passe le pas », affirme à l'Agence France-Presse (AFP) Teun Hakvoort, porte-parole d'une nouvelle fondation qui œuvre pour retrouver et identifier des pęcheurs disparus en mer, en collaboration avec la police. « Tous les bateaux qui ont coulé ont été cartographiés. Avec les moyens modernes, on regarde quelles étaient les conditions météorologiques et les courants au moment du naufrage pour estimer l'endroit où les pęcheurs ont pu échouer », explique M. Hakvoort, 60 ans.
Premier succès après 47 ans
Les nouvelles recherches ont déjà porté leurs fruits. Un corps a récemment été exhumé à Schiermonnikoog, petite île au nord des Pays-Bas, et rendu à la famille.
« Cet homme était porté disparu depuis 47 ans. Après tout ce temps, l'ADN et cette méthode de travail ont permis de découvrir qu'il venait d'Urk », déclare M. Hakvoort. Un autre Hakvoort, Frans, aidé par deux de ses frères, préside la fondation Identiteit Gezocht (identité recherchée) à Urk, qui abrite une communauté soudée où certains noms de famille reviennent souvent.
Intelligence artificielle et base de données
La fondation entend recenser les tombes inconnues sur les côtes de la mer du Nord et lance un appel aux particuliers. « Lors de vos vacances, faites un tour au cimetière et dites-nous s'il y a une tombe inconnue », encourage Frans Hakvoort, 44 ans, qui a aussi perdu un proche en mer et passe son temps libre à chercher les disparus.
« Avec l'IA, on recherche aussi des articles parus après l'échouage d'un corps, avec peut-ętre des caractéristiques spécifiques », poursuit-il. « On saisit toutes ces informations dans une base de données. Si on peut établir un lien, on contacte les autorités locales pour voir si elles peuvent déterrer le corps ». Aux Pays-Bas, « environ 90 % des morts inconnus ont été exhumés et tous les profils ADN sont dans une base de données européenne », note Frans Hakvoort.
Monument aux 300 disparus
Jan van den Berg passe ses doigts sur le nom de son père, gravé sur un monument surplombant la plage d'Urk, en hommage aux pęcheurs disparus. Une longue liste, plus de 300 noms : des pères, des frères, des fils, avec des dates remontant jusqu'au XVIIIe siècle.
Une statue de femme, dos à la mer, représente les mères et épouses espérant le retour de l'ętre aimé. « Mon père a disparu lors d'une tempęte, une nuit glaciale d'octobre 1954 » alors que « j'étais sur le point de naître », raconte Jan van den Berg.
Tragédie familiale persistante
Son oncle, également à bord, racontera que son père était sur le pont lorsque le bateau a été renversé par des vagues déchaînées. Le drame hante toujours la famille van den Berg. « Quand ils remontaient les filets sur le pont avec du poisson, mes frères aînés avaient toujours peur qu'il y ait quelque chose qui ressemble à un humain », se souvient Jan.
En 1976, le bateau de son oncle disparaît avec à bord deux de ses cousins, de 15 et 17 ans. Jan van den Berg est parmi ceux qui retrouvent la dépouille de Jan Jurie, l'aîné, quatre mois après. Les autres n'ont jamais été retrouvés.
Plaie ouverte et espoir
« Il ne se passe pas un jour sans que l'on pense à eux, à tous ces hommes, et c'est pourquoi je participe aux recherches et que je donne mon ADN, car ça reste une plaie ouverte », confie le retraité. « J'aimerais avoir ne serait-ce qu'un petit os de mon père pour mettre dans la tombe de ma mère ». Et enfin vraiment pouvoir faire le deuil.
(AFP) Note : Cet article a été édité avec l'aide de l'Intelligence Artificielle.